- © Bert Stern
« Marilyn n’a conservé de ses trente-six ans d’existence que trois choses : ses carnets, un secret qu’elle me fit promettre de ne jamais révéler et ma compagnie. » (p. 86)
Oubliez tout ce que vous croyez savoir sur Marilyn Monroe. La vérité est ailleurs. Philip Le Roy nous livre une fin alternative, sa version director’s cut du biopic non-autorisé de Marilyn Monroe. À l’heure où les studios hollywoodiens multiplient les films biographiques qui virent à l’hagiographie, l’écrivain français signe ici le récit noir, non-officiel, des derniers jours de Marilyn Monroe.
À l’instar de Stephen King dans son roman 22/11/63 et de James Ellroy avec American Tabloïd, le plus américain de nos auteurs de thriller frenchie nous fait voyager dans le temps jusqu’au sixties, dans l’Amérique du baby-boom, des « happy days » et du rock ‘n’ roll, grâce aux carnets apocryphes de Marilyn Monroe : Marilyn Confidential ou l’envers du décor du rêve américain sous Nembutal. Flash-back en 1962…
Ouverture au noir.
Gros plan sur la star.
« Bert Stern mitraillait l’armure de beauté, d’innocence et de gentillesse qu’elle s’était forgée pour se protéger de la pourriture qui empuantissait les bas-fonds jusqu’aux hautes sphères. Une armure fissurée aujourd’hui. » (Troisième extrait des carnets, p. 93)
Coulisses d’un shooting mythique, la dernière séance photos de Marilyn Monroe racontée de l’intérieur comme si vous y étiez : le photographe Bert Stern prend plus de 2 500 photos de Marilyn pour le magazine Vogue en trois séances sur trois jours.
Lors de la première séance qui se déroule dans une suite de l’hôtel Bel Air à Los Angeles, le 23 juin 1962, la star hollywoodienne accepte de poser nue devant l’objectif. Sur les 2 500 prises de vue, Marilyn refuse que deux photos, – qu’elle marque d’une croix -, soient publiées dans Vogue.
Le corps nu, une cicatrice couturant son flanc droit (rappelant le flanc du Christ sur la croix, percé d’une lance – Marilyn avait été opérée de la vésicule biliaire six semaines plus tôt), barrée d’une croix… Il n’en faudra pas plus pour relire cette séquence en y voyant – en surimpression – la Crucifixion, première occurrence de la figure christique dans le roman.
« Stern la photographiera douze heures d’affilée : radieuse, marquée, espiègle ; absente, ambiguë, physique, animale, incontrôlable, mélancolique, magique, irradiante, inventive, en mouvement, concentrée, grisée, assoupie. Elle jetait sur Ektachrome du Rubens, du Goya, du Botticelli, du Léonard de Vinci. » (p. 93)
- © Bert Stern
Marilyn ne verra jamais les clichés publiés. Elle se suicide quelques semaines après dans la nuit du 4 au 5 août. Mais ceci n’est que la version officielle, car Philip Le Roy va proposer une thèse sur la disparition de la star totalement inédite.
Révisionniste Philip Le Roy ? Sa défiance à l’égard de l’Histoire (officielle) et des médias est toujours bien ancrée dans son œuvre (que l’on se souvienne des origines des religions monothéistes dans ses derniers romans notamment) et le sous-titre La Conspiration Marilyn Monroe (présenté uniquement sur le site de l’éditeur mais non sur la couverture du roman) aurait de quoi séduire les complotistes de tous bords. Ce serait pourtant une erreur grossière de s’arrêter là. Car, sans sombrer dans l’hagiographie niaise, Marilyn X est avant tout le roman noir d’un fan absolu de l’actrice hollywoodienne.
Fondu enchaîné.
Philip Le Roy est un cinéphile averti et son écriture se nourrit de références cinématographiques, comme ici, lorsqu’il décrit Marilyn dans la scène d’ouverture du film Niagara d’Henry Hathaway tourné en 1952 : « Yeux mi-clos, bouche entrouverte, lèvres rouges et humides, elle fume, écrase sa cigarette, ondule, étire les bras, fait semblant de dormir pour éviter le regard de son mari, interprété par Joseph Cotten. La lumière est captée par sa chair diaphane. The flesh impact. En quelques secondes, Marilyn a caractérisé son personnage sans prononcer un seul mot. On sait d’emblée qu’elle n’aime pas son mari, que son amour est ailleurs, qu’elle est sournoise et prépare quelque chose de mal. » (Extrait n°4, p. 115)
Fondu au noir.
Le chapitre le plus marquant du roman, celui qui restera dans toutes les mémoires, est assurément celui de l’extrait n°5 des carnets de Marilyn, un long plan-séquence d’une noirceur absolue dans lequel le mafieux Sam Giancana, ses nervis, et Frank Sinatra violent Marilyn Monroe dans un bungalow du Cal Neva Lodge une semaine avant sa disparition. Séquence X, presque insoutenable, qui pourrait s’intituler La Passion de Marilyn et dans laquelle la star apparaît une nouvelle fois telle une figure christique, figure récurrente dans l’univers de Philip Le Roy.
Ce n’est d’ailleurs pas seulement la face cachée de Marilyn Monroe (qu’Antonio Tabucchi qualifiait de « Joconde contemporaine »), mais aussi la pourriture de l’humanité au regard de la beauté lumineuse de la star hollywoodienne que décrit Philip Le Roy (« un mythe qui embellit le monde » p. 186). On retrouve ici une des obsessions majeures de l’écrivain pour la recherche de la pureté originelle perdue.
« Nue dans la beauté je marche / Avec la beauté autour de moi je marche, / La beauté est revenue », scandent les Indiens Navajos (Extrait n°8, p. 188). Marilyn participera à la cérémonie du blessingway des Navajos pour se purifier, elle qui « pendant trente-six ans […] avait absorbé la pourriture du monde comme une éponge », raconte la narratrice (p. 196).
- © Bert Stern