Comment faites-vous pour qu’on ne sente pas dans votre écriture le poids des documents que vous avez consultés ?
Je suis un très mauvais théoricien de ma propre écriture (de celle des autres aussi, d’ailleurs), je ne peux donc pas vraiment l’expliquer. Sans doute faut-il avoir quelques dons de synthèse. Peut-être que j’arrive à intégrer la documentation, à la synthétiser et à la retranscrire sans faire œuvre professorale.
Saviez-vous dans quelle direction orienter vos recherches en ayant déjà une idée précise de l’histoire que vous alliez raconter avant même de commencer vos investigations ?
J’avais l’envie d’expliquer, comme le disait Jean-Patrick Manchette, « comment en est-on arrivé là ? ». Comment en est-on arrivé à un état d’urgence permanent ? Comment en est-on arrivé à apprendre qu’un attentat a fait des dizaines de morts et, quasiment, accepter ça comme une « normalité » ? Plus encore, lors des attentats de 2015 (Charlie Hebdo, l’Hyper Casher et le 13-Novembre), j’ai entendu beaucoup de « C’est nouveau ça, des gamins qui tirent dans la foule et se font exploser ! ». Non, ce n’est pas nouveau, moi, je me souvenais de Khaled Kelkal, du GIA. Tout n’a pas commencé le 13 novembre 2015. L’histoire a une valeur explicative. D’où mon envie de remonter ces trente années qui ont précédé 2015.
Êtes-vous de ces écrivains qui préfèrent écrire sans plan pour découvrir au fur et à mesure ce qui va advenir ?
Je n’ai pas vraiment de plan. C’est peut-être un tort, et de plus en plus j’essaye de « chronologiser » mon roman pour éviter les erreurs. Mais je ne suis pas vraiment un écrivain qui travaille à partir d’un plan qu’il détaillerait de plus en plus, jusqu’à aboutir à son manuscrit final.
Comment travaillez-vous au quotidien ? À quoi ressemble votre table de travail ?
Mon bureau est de plus en plus en bordel. Les papiers, les journaux et les livres s’entassent. L’écriture de ce triptyque me demande de sans cesse vérifier les faits historiques, d’où le besoin de sources documentaires. Mon quotidien de travail est d’ailleurs aussi foutraque : je ne m’impose pas des horaires fixes. J’ai une compagne et deux enfants, j’essaye de ne pas trop leur imposer de longues séances enfermé dans mon bureau. Et puis, je n’ai jamais vraiment été salarié à plein temps, alors ce n’est pas maintenant que je vais m’y mettre. J’écris quand je le sens. Mais je le sens souvent !
Avez-vous besoin de visualiser ce que vous voulez écrire pour pouvoir l’écrire ?
J’essaye plutôt de rendre visuel ce que j’écris.
Vous fixez-vous un certain nombre de pages à produire chaque jour ?
Non. Mais lorsque je suis en phase de correction, ou que la « dead line » approche, je me force à écrire. Je peux écrire vite et beaucoup. Il m’est arrivé d’écrire deux livres en même temps (un sous mon nom, un autre sous pseudo). En vieillissant, je m’aperçois que c’est étonnant le nombre de tâches que l’on peut accomplir dans une journée, en fait.
Quand vous êtes en phase de relecture, est-ce que vous appliquez le conseil de Stephen King qui recommande de supprimer au moins 10 % du texte ?
Voire plus. Pour les deux premiers opus du triptyque, je pense qu’un quart du texte est passé à la trappe. Un texte, c’est comme un arbre, il faut savoir étayer pour que la floraison soit plus belle. Il y a chez l’écrivain une nécessaire « constance de jardinier ».
En lisant La Guerre est une ruse et Les Prémices de la chute, on sent le savoir-faire d’un auteur de romans de gare du genre des SAS de Gérard de Villiers, mais aussi l’ambition d’un véritable écrivain qui veut rivaliser avec un Don Winslow. Avez-vous le sentiment de vous inscrire dans une certaine tradition du roman noir ?
Par vraiment. Me comparer à Don Winslow, c’est gratifiant : La Griffe du chien est pour moi un immense bouquin. Mais je ne m’inscris pas vraiment dans un courant. Les lecteurs peuvent m’y inscrire, eux. Moi, je fais ce que j’ai envie de faire, du roman noir, historique, de l’espionnage, du polar, oui, mais en essayant de ne pas m’enfermer dans un genre.
Vous citez parmi vos livres favoris Pas d’orchidées pour Miss Blandish de James Hadley Chase, Le Désert des Tartares de Dino Buzzati et Voyage au bout de la nuit de Céline. Quels sont vos écrivains contemporains préférés ?
Je n’ai pas vraiment de figure tutélaire en littérature. Il n’y a pas de romancier dont je sois inconditionnel. Certains livres peuvent me transporter, je peux les relire mais je ne crois pas que l’œuvre entière d’un auteur me transporte. Mais c’est peut-être une méconnaissance de ma part. Vous avez cité Winslow, on a parlé d’Ellroy. En France, j’aime beaucoup Hervé Commère ou François Médéline, pour des raisons différentes.
La Grande peur du petit blanc est l’histoire d’une vengeance consécutive à la guerre d’Algérie. 600 coups par minute raconte le trafic d’armes en Europe à partir de l’effondrement de l’ex-Yougoslavie. Le Monde est notre patrie traite des sociétés militaires privées engagées dans les conflits internationaux. Dans La Peste soit des mangeurs de viande vous évoquez la maltraitance animale dans les abattoirs industriels. Dans Les Cancrelats à coups de machette vous parlez du Rwanda et du rôle joué par la France dans le génocide. Êtes-vous, comme Emmanuel Carrère, un écrivain « à sujet » ?
Oui, j’espère. Et j’espère que tout écrivain est un écrivain à sujet. Peut-être que certains sont des écrivains à posture… C’est possible. Moi, j’ai passé l’âge de parader dans les salons où l’on cause avec un verre de champagne à la main. Alors j’essaye de m’attaquer à des sujets et d’en faire des romans.
Quel autre sujet serait susceptible de vous intéresser ? Conservez-vous des articles de presse en vous disant que cela ferait un bon sujet de roman pour plus tard ?
Là, actuellement, j’aimerais écrire sur le prolétariat. L’idée que l’Histoire française (mais pas que) a volontairement gommé certains acteurs de son histoire m’intéresse. C’est le cas des ouvriers mais aussi des immigrés, des femmes aussi. C’est en ça que les « gilets jaunes » m’intéressent. Souvent, en effet la lecture de la presse me donne des envies de roman.
Vous avez été objecteur de conscience dans un organisme de réinsertion au sein duquel vous donniez des cours d’alphabétisation. Vous avez ensuite fait des études en tant que doctorant en sciences politiques au cours desquelles vous avez lu Debord, Marx, Marcuse et Deleuze. Vous avez participé aux manifestations anti-G8 à Gênes en 2001. Vous avez été la plume des élus EELV à Rennes pour leurs discours et leurs communiqués pendant quelques années. Le roman noir est-ce le dernier lieu du combat politique dans la littérature française ?
Le roman noir est sans doute le lieu où un mec de mon âge peut encore être actif. Mais si j’avais quinze ans de moins, pas de gamins, peut-être que je serais « activiste ». Sans doute dans la défense des animaux. Mais physiquement, je ne me sens plus de courir avec des flics au cul. Je l’ai fait, j’ai aimé ça, mais je crois que je ne pourrais le refaire que dans un roman. Le roman noir, comme asile de vieillards pour activistes… c’est d’une tristesse !
Vous avez remporté le prix des lecteurs à Quais du polar – 20 Minutes, l’Étoile du polar décernée par Le Parisien, le Grand prix du Festival de Beaune et celui du Livre à Metz/Marguerite-Puhl-Demange. Est-ce que ces prix ont d’ores et déjà changé quelque chose pour vous ?
Ça donne une petite pression supplémentaire. Mais c’est surtout très gratifiant car ces prix ont été décernés par des lecteurs, ou des professionnels de la littérature noire. Pourtant, ça ne change pas fondamentalement mon rapport à l’écriture : je crois pouvoir continuer à écrire ce que j’aimerais lire.
