De novembre 2016 à novembre 2017, accaparée durant la journée par ses préoccupations de mère et son travail quotidien, faute de pouvoir désormais écrire le jour, la poétesse Estelle Fenzy décide de se lever chaque matin trente minutes plus tôt. « L’écriture se jouait donc entre le café qui passe et le petit-déjeuner. Avant que la maison ne se lève et que le tourbillon ne commence et prenne le dessus », nous confie-t-elle.
« L’obscurité nous dilue / nous sème et nous mue / éteint bien avant l’aube / toute idée de nous-mêmes » (page 15)
Les trois cents courts poèmes de deux à huit vers qui composent La Minute bleue de l’aube, entre aphorismes et haïkus, suivent l’ordre des jours qui s’égrènent. « Chaque poème est le reflet de mon état d’esprit de chaque jour », nous dit Estelle Fenzy.
« Secouer les fantômes / Ouvrir la porte aux chats / Préparer le café / Et puis / les mots le lancer de confettis / l’embuscade heureuse du poème / dans les décombres de la nuit » (p. 37)
Au sortir de la nuit, la phrase se déplie, se courbe (sans rompre), tout en enjambements, avec l’élasticité d’un chat ― aucun signe de ponctuation ne vient interrompre son étirement. La nuit s’alanguit dans la phrase.
« Que / jamais un poème / si beau soit-il / ne remplace / l’incessant voyage / de ton silence » (p. 28)
La Minute bleue de l’aube est une œuvre intimiste, un journal poétique intime, le « je » qui s’y exprime n’étant pas celui de la tradition lyrique, ― un je de fiction ―, mais bien celui d’Estelle Fenzy.
« Mon enfant dort / dans la pièce à côté / je chuchote doucement / les mots écrits sous la lampe / Le poème entre dans son rêve » (p. 20)
« Mon enfant dort », un présent déictique qui renvoie le lecteur à un ici et maintenant, une poétique du quotidien à travers les yeux d’une mère, mais aussi une inversion proprement poétique où le réel glisse dans l’onirisme (« Le poème entre dans son rêve »).
Cette poétique du quotidien ne tend pas chez Estelle Fenzy à magnifier des situations triviales. C’est au contraire le quotidien qui traverse sa langue poétique.
« Espérer le poème par le ciel / et les yeux de mon fils / où il s’est posé » (p. 85)
Cette minute du titre peut s’entendre dans son acception juridique d’« original d’un jugement ou d’un acte authentique dont le dépositaire ne peut se dessaisir », comme on peut le lire dans Le Petit Robert : ce livre n’est-il pas la minute du procès intenté au jour, entre la nuit de la poétesse (cet espace-temps qui n’appartient qu’à elle) et la trahison du jour ? Les derniers instants d’une condamnée à vivre.
« Buée / Miroir où / je m’efface / L’image fond / Je suis vivante » (p. 21)
