« Samedi : jour off (ennui, Pim’s, branlette). » (page 20)
Pour un peu le narrateur de la nouvelle intitulée « Divine » nous rappellerait quelque personnage croisé dans Moins que zéro (Less Than Zero) de Bret Easton Ellis (en remplaçant les Pim’s par un peu de coke). La comparaison s’arrête néanmoins là, la démarche d’Isabelle Zribi se différenciant radicalement de celle de l’auteur d’American Psycho : le narrateur de « Divine » se venge des péquenauds qui l’insultent, l’autrice insufflant la férocité de son regard dans l’âme de ses personnages.
Ni conte cruel (façon Villiers de L’Isle-Adam), ni galerie de vies minuscules (à la manière de Pierre Michon), cette Revanche des personnes secondaires est un livre qui s’érige contre le littérairement correct ambiant, la littérature mondaine suffisamment aseptisée pour assurer le Prime des plateaux télévisés.
Dans les treize textes qui composent ce recueil, Isabelle Zribi décrit d’abord le mépris et les humiliations que subissent ses personnages, féminins ou masculins, parfois avec un humour à froid qui fait mouche. Puis la situation bascule.
Dans « Merci mon chien », le narrateur doit porter un uniforme féminin et répondre au nom de Maria à la demande de sa riche patronne. Mais lorsque Rosa, la domestique qui travaille depuis trente ans au manoir, part en vacances, les rôles vont s’inverser.
L’autrice décrit dans ces textes les rouages invisibles qui meuvent les rapports sociaux, rapports de pouvoir, rapports de force, qui relèvent de constructions sociales et politiques auxquelles nous nous soumettons volontairement. Une « présomption d’insignifiance », ainsi que l’écrit Isabelle Zribi qui est aussi avocate.
Dans chacune des treize nouvelles, ces rouages sont sabotés par les « personnes secondaires », la machine se grippe et déraille, brisant le déterminisme pour fléchir la trajectoire de vie : un anti-destin.
Ces treize nouvelles ne sont pas des « beaux textes » issus du corpus de la littérature décorative de salon mais des écrits dans lesquels l’autrice met en acte une forme de rébellion : une parole cruelle résistant à la page. Aucune page n’est jamais vierge. Ce qui s’écrit doit d’abord s’écrire contre.
« J’aspire à sentir le sang abreuver mes organes. Je choisirai un mot, par exemple le mot glace, et fixerai mon attention sur lui jusqu’à ce qu’un arbre de stalagmites craquelle en moi. Je voudrais que les mots et les sensations deviennent des événements majeurs et m’en contenter. » (p. 121)
Le texte le plus fort est celui qui clôt le recueil, « Le clodo du troisième étage », consacré aux derniers jours de l’écrivain et peintre Henry Darger, mort à Chicago en 1973 dans le plus complet dénuement. Henry Darger a produit en secret, pendant presque trente ans (du début des années 1910 à la fin des années 1930), une œuvre littéraire et picturale d’une ampleur exceptionnelle : un roman de plus de 15 000 pages qui s’intitule The Story of the Vivian Girls in What is Known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinian War Storm Caused by the Child Slave Rebellion [1].

© Musée d’Art Moderne / Roger-Viollet