Entretien avec Perrine Le Querrec (deuxième partie)

Couv Vers Valparaiso« Dès que le titre s’inscrit devant les yeux ouverts c’est parti », écrivez-vous page 9 de Vers Valparaiso. Est-ce que pour vous le titre est premier ? Est-ce l’impulsion de départ qui vous conduit à travailler sur un nouveau texte ?

J’aime les titres, je cultive même une passion pour le titre, car il est le mot juste, celui qui contient le livre entier. Tant que je n’ai pas de titre, je ne peux pas écrire le livre. Lorsqu’il se révèle, c’est une fête, il est la porte d’entrée vers le corps du texte. Il m’est arrivé de changer le titre à la fin de l’écriture, mais une ou deux fois seulement. Le titre est véritablement ma première pierre.

Dans « Le titre », vous écrivez : « une année à marcher à côté de la réalité ses bruits venus de loin » (p. 9). Êtes-vous en immersion complète, coupée du monde, quand vous écrivez ?

Immergée oui, dans un autre monde, et cela pourrait être dangereux. Rien ne me manque alors, l’écriture est une jouissance infinie, une aventure extrême, des découvertes permanentes. J’aime profondément chacun de mes personnages, réel ou fictif, je dialogue avec eux, les écoute, les entends, leur secret, leur égarement, leur silence, cela occupe tout mon temps. Ce qui m’ancre au réel, c’est l’archive. Elles sont mes racines, elles me permettent de toujours revenir. Et puis mes enfants, j’ai appris à écrire avec mes enfants près de moi, c’est-à-dire avec la vie près de moi. Et pour eux, je suis capable de refermer mon cahier et de reprendre ma place dans notre monde commun.

« Lorsque sous le titre les mots auront pénétré le sens façonné la forme couchée avec le verbe », lit-on page 10. Diriez-vous que c’est la forme qui s’impose à vous plus que vous-même n’en décidez ?

2La forme m’est révélée par mon sujet. Mes personnages, avec leur singularité, réclament une forme qui leur est personnelle. Un rythme, un souffle, une syntaxe propres, qui construit la forme pour les accueillir au mieux. Le travail préparatoire achevé, j’avance vers la page blanche et commence à écrire. Alors, tout peut advenir, la prose, la poésie, l’abondance ou le minimal, le désir d’un livre-plan comme pour La Construction, d’une écriture obturée de noir comme pour Ruines, et toujours ma joie devant ces apparitions, ma gratitude.

« Je ne vais pas vous montrer mes mains en sang », lit-on page 11. Est-ce l’état dans lequel vous vous mettez quand vous écrivez ? Faut-il répandre du sang sur la table de travail ?         

Avec les années, j’ai appris à sublimer la joie dans l’acte d’écrire. Dans mes premiers livres, cette joie, capitale, était assourdie par ma fébrilité, la responsabilité dont je me sentais investie : être juste, ne pas blesser mon sujet, ces êtres sensibles dont je souhaitais révéler la parole. J’ai acquis un peu de confiance, et aussi un peu de méthode, mais symboliquement j’ai toujours les mains en sang.

« L’écriture qui remplace les nuits », écrivez-vous dans « L’heure venue » (p. 13). Comme nombre d’autrices et d’auteurs, les phases d’écriture correspondent-elles chez vous à des périodes d’insomnie ?

Non, mes insomnies sont blanches, sans écriture. Mais j’écris parfois tant que j’en oublie de dormir, ou de manger.

Je n’ai pas de moment privilégié pour écrire, chaque heure est la meilleure.

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Dans ce même poème, vous évoquez la part de doute qui vous étreint. Le doute est-il un moteur ou un frein à l’écriture ?

Il est le matériau principal. Il me tient en alerte, en suspension, en tension. Lui provoque des insomnies oui. Le doute. Principalement sur ma capacité à transcrire les voix que j’entends.

Dans « Quarantaine », vous posez une question cruciale, celle du sujet, « le Qui ? a écrit » (p. 15). De quelle bouche écrivez-vous ?

Je n’ai pas résolu cette question. La démesure de cette question. J’écris – je. J’écris – elle et il. J’écris – nous. Je suis écrite – eux.

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« sans titre », série Erased Head, mars-avril 2020 © Perrine Le Querrec

Dans « Rainures », vous dites vous attacher « aux ordures du monde », « parce que c’est juste » (p. 16). Est-ce qu’il y a, dans votre œuvre, de manière sous-jacente, la volonté de rendre justice ?

« Rendre justice » c’est « Reconnaître les droits, les mérites, la valeur de quelqu’un, de quelque chose. » Alors, oui, je rends justice aux exclus, aux indigents, aux laissés-pour-compte, aux femmes poussées dans l’ombre des hommes, celles et ceux qui tombent. J’écris la chute.

Dans « L’eau et la neige », on peut lire ceci : « sur la neige écrire / se rapprocher pour tenter — elle se rapproche / de l’eau / neige / interroge » (p. 17). Ce « elle » qui neige m’a rappelé le titre du très beau livre de Laure Gauthier je neige (entre les mots de villon). Dans un entretien, Laure Gauthier dit que l’image de la neige « est une image surinvestie par les poètes, parfois jusqu’au mièvre », et qu’elle ne voulait pas « qu’on entende la neige poétique dans le titre mais qu’on ressente la matière même de la neige » [1]. Qu’évoque la neige pour vous ?

Neige d’Anna Kavan [publié aux éditions Cambourakis dans la traduction de Ronald Bleunden — NDRL], autrice morte d’une crise cardiaque dans sa chambre silencieuse le 5 décembre 1968, jour de ma naissance. Une voyageuse, exploratrice des écritures instables. « Elle était prête à affronter la glace. »

Dans « L’outil », vous avez cette parole sublime : « À chaque mot je m’élève je retombe » (p. 18). L’écriture est ici une respiration. Diriez-vous qu’il est vital pour vous d’écrire ?

L’écriture est ma respiration. Il ne faut pas m’enlever l’écriture, rien ne pourra m’ôter l’écriture, je n’y survivrais pas.

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Dans plusieurs textes de ce recueil, vous écrivez « elle » et non « je ». Je pense par exemple au très beau « Les placards ». S’il s’agit bien de vous, pourquoi cette distanciation par rapport à vous-même dans certains textes et pas d’autres ?

S’agit-il de moi ? Non, oui, il y a toujours ce doute, cette frontière gracile entre les identités ; dans un autre texte je me demande quelle est celle qui écrit ; sans me poser systématiquement cette question, je laisse s’exprimer mes identités. Dans la vie courante, il faut beaucoup se tenir, se retenir, dans l’écriture je peux devenir celle que je suis, « elle », « je », et toutes les autres.

Plusieurs poèmes de Vers Valparaiso parlent de l’écriture, non pas de manière théorique, mais avec cette approche, qui est la vôtre, toujours hypersensible, à fleur de peau, — je pense notamment aux superbes « L’instabilité » (p. 28), « Justification » (p. 32) et « Sans fin » (p. 84). Nous avons déjà évoqué « Miracle » qui figure dans votre ouvrage La Patagonie. Avez-vous le sentiment que ces textes qui abordent des questions d’esthétique, votre conception et votre propre ressenti à l’égard de votre poétique, peuvent recéler une forme d’enseignement et que des poètes vous lisent aussi pour apprendre de vous ?

Je ne pense pas qu’il soit possible de déplacer une écriture d’un corps à un autre. Laisser une empreinte peut-être, renforcer une intuition, mais un enseignement, je ne crois pas.

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« sans titre », série Erased Head, mars-avril 2020 © Perrine Le Querrec

« ma poésie est totalement libre », écrivez-vous dans « Recto/Verso » (p. 30). Emmanuel Laugier explique, dans un entretien, que pour lui « il y a toujours eu un rapport du poème à la contrainte, dont l’histoire a jugé qu’il devait lui être nécessaire ». Et d’ajouter : « Comme on a pu, à d’autres moments, subvertir les contraintes imposées par les formes prosodiques, les faire exploser de l’intérieur et les disséminer jusqu’à croire en avoir terminé avec elles. La contrainte pourtant reste. Toutes sortes de contraintes s’inventent, se pratiquent, s’endurent. On pourrait même dire qu’un projet d’écriture est déjà en lui-même une contrainte. » [2] Se donner des contraintes n’est-ce pas nécessaire à l’égard du poème ?

En écrivant « ma poésie est totalement libre », je fais référence à ses sujets.

La contrainte existe très fortement dans la composition du poème, « contraintes inventées », exactement. La première serait la dimension de la page, sa présence physique, sa limite, sa compacité, terrain d’où s’élèvera le poème. Les termes utilisés pour bâtir une architecture, les contraintes avec lesquelles une architecture doit composer, sont semblables à mes yeux à l’élévation d’un poème, d’un texte en règle générale, avec ses matériaux, ses friches, ses présences.

Vous vous prêtez à l’exercice de la lecture publique de vos textes, à la performance. Lorsque vous écrivez pensez-vous à ces lectures à voix haute ? Écrivez-vous « à l’oreille » ? Et arrivez-vous à rendre, à donner à entendre, la voix ou les voix, lorsque vous lisez vos textes en public ? Je pense par exemple au très beau « Garçon-Boucher », un texte qui prend sa pleine mesure quand on le lit à voix haute.

5Les lectures publiques ont été un long apprentissage. Les premières fois, j’étais tétanisée, en danger. Mais j’avais tant le désir de porter la voix de celles et ceux pour qui j’écrivais que j’ai persévéré. Je peux dire à présent que j’adore lire en public, ce sont des moments très intenses, de partage, d’incarnation.

J’écris à l’oreille et à l’œil, je parle mes mots et je regarde leur présence sur la page, dans ce blanc, j’écoute leur vibration dans l’espace, les mots les uns à côté des autres, j’élabore la ponctuation à l’oreille, au souffle que je suis capable d’insuffler dans la phrase.

Lorsque la poète se présente devant les regards, soudain apparaissent la poésie, la langue, celle du corps, celles des gestes, de l’émotion, des sensations.

« Ma blanche armure de disparition », écrivez-vous dans « Quatre pages » (p. 83). Diriez-vous que l’écriture protège ? Que l’écriture vous efface ?

Elle protège, elle console, elle répare, elle est talisman et ouragan, elle peut dévaster, trop en dire, elle prend toutes les apparences, elle est infinie, elle est ma compagne.

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« sans titre », série Erased Head, mars-avril 2020 © Perrine Le Querrec

Dans « Dispersée » vous évoquez la postérité. Ne vous posez-vous jamais la question de ce que vous laisserez, de votre héritage littéraire, en tant qu’écrivaine et poétesse ?

Pas encore non ! De nombreux projets sont en cours, des écritures, des collaborations artistiques, des endroits de création où il me faudra forger de nouveaux outils ; je suis toujours sur la route.

Conservez-vous les travaux préparatoires, les brouillons, vos carnets, en pensant à d’éventuelles archives ?

Oui je conserve tout et cela constitue des archives dans lesquelles je reviens, au gré de mes écritures. Il y a une matière commune à tous mes livres, et l’un me sert de terreau pour l’autre, même à des années de distance. Et puis les marges griffonnées de pensées éclairs, que l’on n’a pas eu le temps de développer, les références encore à consulter, les ébauches, les croquis, comment/pourquoi jeter cela ?

Vous interdisez-vous quelque chose quand vous écrivez ?

Tant d’interdits régissent déjà nos vies ! L’écriture c’est l’entière liberté de pensée et d’action.

Comment travaillez-vous ? À quoi ressemble votre table de travail ?

Un plateau de bois. Un mur devant. Sur lequel j’accroche les images qui soutiennent l’écriture en cours. Très près de moi les carnets et cahiers qui contiennent mes recherches. Les livres compagnons du moment. Des petits objets, pierre, sculpture, cadeau. Des feuilles blanches glissées sous le clavier si le clavier ne suffit pas. Il y a beaucoup de choses. Au sol aussi, des livres. J’écris dans ma chambre, elle devient une forteresse le temps du livre. J’écris ramassée sur très peu de place. Et puis d’un coup je me détends et me lève pour marcher et réfléchir.  Avant de m’assoir de nouveau. Devant le plateau de bois.

Vous êtes l’autrice de plus d’une vingtaine d’ouvrages depuis 2003, ­— recueils de nouvelles, de poésie, romans. Existe-il, selon vous, un lien, conscient ou inconscient, entre vos livres ?

6Le lien existe et me guide. C’est une ligne très précise qui avance de livre en livre. Pour l’anecdote, il y a toujours, dans le livre nouvellement publié, un fragment du livre précédent. Je construis : dans La Construction, publiée en 2018, l’architecte, dans une page de son journal, nomme les éléments de son architecture du prénom de tous mes personnages antérieurs. Je cite : « Je parle à Eugen la voûte, au pilier Jean au portail Pilar la charpente Unica la croisée Jeanne la largeur Josef la grandeur Dora la couleur Vaslav la travée Paule la clarté Petra. Je sculpte une rampe où nos mains s’avanceront à la rencontre l’une de l’autre. »

Est-ce que vous pensez que l’ensemble de vos textes publiés fait déjà « œuvre » ? Pensez-vous à vos livres en ces termes ?

Je pense plus souvent aux livres à venir qu’à ceux déjà écrits. Je pense à mes personnages oui, Jeannot, Jeanne, Unica et tous les autres, j’y pense très souvent, mais en tant que personne, pas comme héros et héroïne de mes livres. Ils m’accompagnent vers le prochain travail.

Êtes-vous aujourd’hui encore celle qui publiait en 2003 son premier recueil de nouvelles Tu ne liras point par-dessus l’épaule de ton voisin chez Terre de Brume ?

Tu ne liras point par-dessus l’épaule de ton voisin est une seule nouvelle, contenue dans un recueil avec d’autres auteurs. Cette histoire, courte et noire, se passe dans le silence d’une bibliothèque. Où ceux qui brise le silence sont dépecés, et leur peau utilisée pour servir de papier aux prochains livres ! Je pourrais toujours l’écrire, oui ! Mais je suis très différente de celle que j’étais en 2003, plus en paix.

Couv Le Plancher« Je me souviens combien Les Jolies Choses a été terrible à écrire, à relire, à publier. En lutte permanente contre l’angoisse. C’était mon troisième livre, mais j’avais conscience que c’était lui qui ferait de moi un écrivain », a dit Virginie Despentes dans une interview. À partir de quel livre avez-vous eu le sentiment d’être devenue écrivaine ?

Peut-être avec Le Plancher, publié en 2013 aux Doigts dans ma prose, et republié en 2018 chez L’Eveilleur. Ce livre, c’est la rencontre avec Jeannot, son plancher et son acte d’écrire. À partir de là, j’ai trouvé mon lieu d’écriture, ma ligne, mon chant. Mais je rejoue tout à chaque livre.

« Écrire pour se transformer », dit Charles Juliet dans un entretien [3]. Vous aussi diriez-vous que vous avez commencé à écrire pour vous transformer ?

J’ai commencé à écrire parce que je ne pouvais pas parler. Parler m’était interdit, impossible. L’écriture m’a permis d’apprendre à parler, à m’exprimer, et entrer en contact avec les autres. C’est ma mue.

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Dans ce même entretien, Charles Juliet explique qu’il ne lit plus depuis de nombreuses années les livres de Beckett parce que l’œuvre de l’auteur de L’Innommable est trop noire et qu’elle l’empêchait de poursuivre dans sa propre voie. Est-ce que pour vous aussi il y a des auteurs, que vous avez beaucoup lus par le passé, que vous ne pouvez plus lire aujourd’hui ?

Une vie de lecture est ponctuée de vertiges, parfois si puissants qu’ils vous aspirent entièrement. Thomas Bernhard a été un vertige, Janet Frame aussi, Emma Santos, le journal de Virginia Woolf, l’œuvre de Jean Oury. Je pourrais les relire je pense, mais peut-être à la fin de ma vie, et les retrouver serait alors, certainement, très émouvant.

Vos livres sont publiés aux éditions La Contre Allée, Les Carnets du Dessert de Lune, Derrière la Salle de bain, Lunatique, Les doigts dans la prose, ou encore Hippocampe. Comment travaillez-vous avec les éditeurs ? Le travail est-il le même d’une maison d’édition à une autre ?

Non, il est très différent d’une maison à l’autre, d’une personnalité à l’autre. J’aime travailler avec les éditeurs, écouter leurs suggestions, aller vers le plus précis, le plus équilibré. Mon écriture est nomade, elle écoute le monde, ses multiples voix et silences, c’est pourquoi mes éditeurs sont multiples, et je remercie chacun d’eux d’avoir ouvert leur porte à mon travail.

Avez-vous toujours plusieurs projets de textes en cours ?

Toujours. De la prose et de la poésie. Des recherches au long cours. Souvent trois ou quatre livres/sujets qui se préparent. Et puis soudain l’un s’impose, et je laisse les autres de côté le temps de la rédaction.

Quand savez-vous que le livre sur lequel vous travaillez est terminé et que votre texte est un livre justement ?

Lorsque mon personnage a trouvé la paix. Et lorsque j’en ai terminé la mise en espace : la forme me signale les manques, les faiblesses, le travail encore à fournir.

Qu’attendez-vous de vos lecteurs ?

Je n’ai pas d’attente spécifique. Le partage, la connaissance de ceux et celles qui habitent mes pages, c’est magnifique. C’est à la sensibilité du lecteur que je l’adresse, à son humanité.

Quelle lectrice êtes-vous ? Quelles autrices et quels auteurs vous font vibrer ?

8Lorsque la langue est vectrice de sensations, lorsque je suis perturbée, face à une immensité dont j’ignorais l’existence, lorsque les mots, la syntaxe, prennent des sentiers où je n’ai jamais posé mon regard, qu’elle me révèle des existences, des combats, des puissances jusqu’alors insoupçonnés. Je lis beaucoup, de la poésie, des essais, des ouvrages d’histoire de l’art, de psychanalyse et de psychiatrie, des correspondances, et je vibre selon la période que je traverse, poreuse alors à une écriture plutôt qu’à une autre.

Les arts plastiques et la danse sont tout aussi importants pour moi : je n’écrirais pas de la même façon sans Louise Bourgeois ou Pina Bausch, sans Tania Mouraud ou Nijinski, Bacon et Hannah Höch, Diane Arbus et Jean-Michel Basquiat, et tant d’autres.

Les trois lectures marquantes de ces dernières semaines : Passion érotique des étoffes chez la femme de Gaëtan Gatian Clérambault, La belle de Joza de Kveta Legatova et Cinq le chœur, d’Anne-Marie Albiach, un éblouissement.

Aujourd’hui, 41 % des autrices et auteurs en France gagnent moins que le SMIC. Qu’en est-il de votre situation en tant qu’écrivaine ?

J’appartiens à ces 41 %. Je gagne très peu d’argent, notre situation est des plus précaires. Injustement précaire, puisque le mythe de l’écrivain maudit, vivant de rien dans sa mansarde, a la peau dure, et que notre situation n’émeut personne. Le rapport de Bruno Racine, publié cette année, propose une série de mesures simples, de bon sens, pour nous sortir de la misère, j’espère qu’elles seront appliquées. Sans lectures publiques, et invitations à des salons et des festivals, je crèverais de faim.

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Vous avez bénéficié de programmes de résidence notamment à la Fondation Jan Michalski en 2017, à la Villa La Brugère en 2019, et à La Factorie en 2020. Pensez-vous que ces lieux privilégiés de travail, ainsi que les bourses d’aides à la création, sont aujourd’hui indispensables à l’exercice du métier d’écrivain ?

Cette question poursuit la question précédente : ce n’est qu’en 2017, lorsque ma candidature a été acceptée à la Fondation Michalski, que j’ai perçue, pour la première fois de ma vie d’écriture, une allocation. Et un cadre absolument idéal, entièrement dédié à l’écriture. C’était la première fois que je n’avais pas à m’angoisser pour le loyer et les assiettes à remplir de mes enfants. De 2003 à 2017, j’ai déposé je ne sais combien de demandes de bourses et de résidences, toutes systématiquement refusées. Pourquoi ? Cela devenait même un jeu avec mes amis : « tu as reçu ton refus ? oui ». Depuis la résidence à la Fondation Michalski, d’autres de mes candidatures ont été acceptées, et j’ai pu écrire dans de meilleures conditions financières. Donc indispensables, non, car aucun obstacle n’aurait pu me contraindre à renoncer à l’écriture, mais pourquoi abandonner les écrivains, pourquoi ne pas systématiquement rémunérer leur participation aux manifestations, pourquoi leur imposer la constitution de dossiers calamiteux où il est facile de se perdre, à partir de quand « mérite »-t-on de percevoir le minimum vital, doit-on être contraint d’exercer un autre métier, en plus de celui d’écrire ?


Entretien réalisé par courrier électronique en avril 2020. Propos recueillis par Guillaume Richez. Portrait de l’autrice © Isabelle Vaillant.

Site de Perrine Le Querrec : http://www.perrine-lequerrec.fr/

[1] https://diacritik.com/laure-gauthier-ecrire-cest-necessairement-faire-fi-de-laimable-et-du-mievre/

[2] https://www.telerama.fr/emmanuel-laugier-la-langue-du-poeme-est-une-langue-etrangere

[3] https://www.franceinter.fr/emissions/le-grand-entretien/le-grand-entretien-12-juin-2012


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