Advers de Billy Dranty

« torve une

la folie rentrée

heurté par les loins

requin

sur la touche borné

doute ouvert dans

fragile » (page 60)

Tout horizon d’attente disparaît dans Advers, ou plutôt, se brise (« attente à la ligne passée / au-dessus sans vider / l’acte brut » p. 61 [1]), la cassure abrupte en fin de ligne/vers étant le signe de son effondrement : le vers est advers, la ligne adverse, sans que l’on sache en première lecture qui, du poète ou des lecteurices, en est l’adversaire.

« rance délivrance

à rage déviée

au sens tapi

en flèche

requin

l’impartageable

ru(m)inant

l’espace

requin

la détresse du dit

tu dans les

dents » (p. 43)

Cette œuvre, toute de ruptures, n’est pas immédiatement (com-)préhensible. Il lui faut un regard habile. Mais l’adresse seule ne suffit pas. Il faut encore accepter que notre regard chute. Lire Advers c’est faire l’expérience d’une lecture de chute, c’est-à-dire être soi-même victime de l’effondrement d’un texte en tant que texte. Se blesser à lire.

« l’aridité prospère

brûle l’en reste

requin

déprogression

dans l’A-là

déporté

requin

emphases au tapis

ombre submergée

de riens » (p. 62)

À la verticalité d’Advers succède l’horizontalité d’Attract obstruct, et la poésie à l’œuvre dans ce livre monumental qui réunit ces deux textes majeurs, — du moins celle que pratique Billy Dranty —, n’a rien de réconfortante. C’est une écriture de combat, mais pas dans le sens où sa finalité serait un engagement situé hors du langage (« Langage ment » p. 137). Ce n’est pas une poésie de bons sentiments, ­— ce serait même plutôt l’inverse : une poésie débarrassée des faux-semblants du beau et de la supériorité supposée d’un langage, considéré comme poétique, sur les parlers vernaculaires.

« colère orbitaire avivée d’ex

igences

requin

piétine-poux sur les

starting-blocks

requin

tension phénoménale stoppée du

phonème outragé en sa

fêlure sur-e(x)

plorée 

requin

autre dimension dire » (p. 18)

Billy Dranty travaille le mot comme une matière première. Il expérimente sa plasticité, jusqu’à son point de rupture, pour mieux en montrer le squelette (« sur-e(x) / plorée ») et révéler sa duplicité. Le véritable vi(s)sage du mot, son anatomie (« Le cœur encagé fait ses dents, ses vers sans voix dans les vi(s)sages » p. 132). Le langage ici ne saurait mentir puisqu’il est à peine un langage.

« moisson des carences

déflagrant le non-sens

requin

un ragoût désarmant

requin

fustigation

des affûts menteurs

requin

ubiquiter pour l’air

le corps de

crispe » (p. 20)

Le mot ne cherche pas un destinataire. Il retourne à lui-même, revient à la bouche qui l’a (im-)prononcé (« Forme avalée de voir » p. 120), ou plutôt au ventre (« chemin ventral » p. 12), — c’est un mot fœtal, informé, non-né, quasi incréé. Ici le mot revient au stade embryonnaire du quoi.

« quoi brûle là l’enfer

des peurs en re-

flux » (p. 15) [2]

Billy Dranty nous parle depuis les bas-fonds de la langue, un avant-langage, non par imitation d’un parler populaire, mais par re-création. Car pour écrire, il ne suffit pas d’avoir une chambre à soi. Encore faut-il avoir une langue à soi. 

« caresse de trouvaille

de retrouver l’à temps

le punctum de grâce

l’après-point pointant cœurs » (p. 82)


Billy Dranty, Advers suivi de Attract obstruct, éditions du Canoë, juin 2021

[1] « L’anglement, non la disparition », écrit le poète dans Attract obstruct (p. 118). Il y aurait beaucoup à dire sur l’angularité dans les deux textes réunis dans ce volume. Nous citerons simplement ici à titre d’exemples les occurrences des pages 77 (« angularité-oui »), 82 (« angle nu ») et 99 (« lustrée l’ambre d’intime / frottée au ferme de l’angle »).

[2] « quoi s’y déchaîne crevant / quoi y crève l’écran / menteur » (p. 31).


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